A AGDE LE CHÂTEAU LAURENS SE VISITE : DECOUVREZ-LE AVEC STUDIO MCV
C’était le 23 juin 2023, suite à l’achèvement d’un énorme chantier de restauration (Tous les corps de métiers ont été sollicités, du gros œuvre aux décors, en passant par la menuiserie, l’ameublement, plus celle du parc) que les visiteurs ont pu découvrir cette villa sise au cœur d’une douzaine d’hectares entre le fleuve Hérault et le canal du Midi.
A ce jour, propriété de la mairie, cette bâtisse n’a subi aucune transformation depuis qu’Emmanuel Laurens l’a faite construire (entre 1898 et 1901).
Emmanuel Laurens (1873-1959) jeune dandy, héritier d’une immense fortune, fit de la simple exploitation viticole héritée de sa grand-tante paternelle un lieu de villégiature ostentatoire, décoré et meublé principalement par des artistes d’une école régionale aujourd’hui tombés dans l’oubli.
La villa Laurens, également appelé château Laurens, a été érigée à partir de 1898 par Emmanuel Laurens, héritier de l'immense fortune (20 millions de francs-or) d'un lointain cousin maternel, le baron de Fontenay,
vieillard excentrique, riche à millions laissant derrière lui une fortune considérable et une demi-douzaine de testaments contradictoires et s'annulant les uns les autres. C’est aux termes d'une bataille judiciaire homérique qui se poursuit jusqu'en 1897, qu’Emmanuel Laurens hérite des terres, des entreprises, des rentes, un quai au port de Marseille, des magasins en Afrique et à Ceylan.
Emmanuel Laurens naît dans une famille de maîtres maçons implantés à Agde depuis le XVIIIe siècle. Son père est ingénieur, son oncle architecte.
Au décès de son père, il hérite en 1897, de la parcelle de Belle-Isle à Agde, sur laquelle il veut faire de la demeure familiale, quelque chose d'exceptionnel, qui lui ressemble. Pour y parvenir, il ne ménagera ni sa peine, ni sa fortune. Les travaux commencent en 1898 et durent trois ans.
Fortuné, épris de voyage, collectionneur, mélomane et ami des arts, Emmanuel Laurens fait de sa villa un ouvrage d'art où s’allient architecture, décor, mobilier et art de vivre. Le salon mauresque, l’atrium, le cabinet de travail constituent autant d’univers où se mêlent l’antique, les frises d’inspiration égyptienne, les touches orientales.
Laurens fait les plans lui-même, sans architecte (ce qui explique la singularité de la villa), mais les aménagements et acquisitions témoignent d'un goût surprenant, ce qui permet à sa maison de se distinguer nettement au-dessus d'autres folies contemporaines.
Les meubles, les vitraux et les fresques qui décorent son intérieur sont réalisées par de jeunes artistes locaux, parfois renommés, et qui se trouvent souvent être ses amis ; des artistes résolument modernes, adeptes de ce qu'on appellera bientôt l'Art nouveau.
(Léon Cauvy, 1898, ébéniste de Montpellier a réalisé la banquette d’angle orné de cuirs repoussés, pour le cabinet de travail)
Il y a chez Emmanuel Laurens une véritable attirance pour la modernité. Il fait installer le chauffage central et l'eau courante, et le château est alimenté en électricité par une petite centrale hydroélectrique, qu'il fait construire en 1900. Loin de s'opposer au passage d'une ligne de chemin de fer sous ses fenêtres, il en est ravi : la légende veut qu'il ait seulement à demander à ce que le train s'arrête pour qu'il puisse y monter lorsqu'il voulait se rendre à Paris.
Quelques dates à retenir
- En 1901, Emmanuel Laurens prend possession de sa maison et s'y installe avec sa mère et sa sœur, Marguerite, qui passera toute sa vie à ses côtés.
- En 1903, il commence une nouvelle expédition : la Chine, l'Inde, Djibouti, les Seychelles, le Turkistan, l'Asie centrale. Il chasse le tigre et le crocodile à Ceylan. Au retour, s'achète un yacht pour une croisière autour de la Méditerranée.
- de 1905 à 1914, sont les années où la villa Laurens connaît le rayonnement le plus intense. Laurens alterne voyages et fêtes, représentant à merveille le luxe extravagant de la Belle Epoque : Emmanuel Laurens envoie son maître d'hôtel chercher son caviar dans la Caspienne pour s'assurer qu'il lui arrive frais. Lorsqu'il organise un pique-nique, le train s'arrête chez lui pour laisser descendre ses invités et s'il lui prend l'envie d'aller flamber au casino il affrète des trains spéciaux pour Monte-Carlo.
- En 1907, Emmanuel Laurens rencontre la cantatrice Louise Blot*. C'est pour elle qu’il fera construire la salle la plus surprenante de sa villa ; le salon de musique, une apparence de longue chapelle plus haute que tout le reste de la maison, surmontée d'une sorte de coupole en écailles de zinc, qui paraît totalement démesurée.
- En 1914, Laurens n'est pas mobilisé et Il en profite pour reprendre ses études de médecine.
- En 1920, il se marie avec Louise Blot.
- En 1927 et 1928, Laurens lance ses derniers travaux : il fait décorer le fumoir du château par son ami le peintre Eugène Dufour. Le peintre réalise un ensemble de fresques évoquant les périples de Laurens. Fini les grands voyages, désormais Emmanuel Laurens ne sortira plus guère de chez lui.
- Dans les années 30, il se sépare de ses biens un à un, y compris le château, qu'il vend en viager en 1938. Heureusement, Louise et Marguerite ne l'abandonnent pas, même dans ces temps difficiles. Pour réduire leur train de vie, ils se réfugient dans les « petits appartements » de la maison et laissent le reste tomber en ruine.
Louise Blot meurt en 1954. Emmanuel Laurens lui survit cinq ans. Il meurt à 86 ans, chez lui, le 5 octobre 1959. Quant à sa sœur, elle finit sa vie dans l'indigence. Elle mendie dans les rues de Montpellier jusqu'à sa mort, en 1967.
Lorsque la famille montpelliéraine qui avait acheté le château en viager peut enfin en prendre possession, il est déjà très abimé et ses nouveaux propriétaires ne l'entretiennent guère. Quand la ville d'Agde l'achète en 1994, le château Laurens est dans un piteux état.
Avec son rachat par la ville d’Agde, l’édifice est repris en main. Il est classé au titre des Monuments historiques.
*Louise Blot
Julienne Carré, née à Paris en 1881, de condition modeste mais dotée d'une très belle voix entre au conservatoire de Paris et prend ainsi son nom de scène comme la plupart des artistes lyrique de l’époque. Elle est choisie pour des rôles fort flatteusement critiqués mais Il faut attendre 1918 pour la voir participer à une grande production parisienne à l’opéra Garnier où elle incarne le rôle de Marguerite dans Faust de Charles Gounod. Le mariage sonne la fin de sa carrière lyrique mais elle continuera à se produire dans le cadre de soirées privées, dans le salon de musique construit en son honneur.